Disciples missionnaires
Lettre pastorale de Mgr François Touvet
Samedi 1er octobre 2016, près de Notre-Dame de L’Épine
Chers amis du diocèse de Châlons, vous tous, frères et sœurs baptisés dans le Christ, vous, mes collaborateurs, prêtres et diacres, religieuses, laïcs en mission, membres des équipes de conduite des paroisses, Nous portons en nous, à travers la diversité de nos états de vie, de nos lieux de mission et de nos expériences, l’ensemble des réalités qui forment l’Église de Châlons. De grand cœur, je vous remercie pour votre engagement, tant dans la communauté chrétienne et dans les écoles catholiques, que dans votre vie familiale, professionnelle, sociale et associative, et même politique. Je suis admiratif devant votre fidélité à servir, votre souci des plus petits, votre veille dans la prière, votre capacité à témoigner. Je suis heureux d’être, par la grâce de Dieu, votre pasteur et serviteur. Comme je l’ai largement entendu à Rome lors de ma formation en septembre dernier avec 160 nouveaux évêques du monde entier nommés pendant cette Année Sainte, et le Pape lui-même nous l’a répété avec force, la Miséricorde est au cœur de tout : « Demandez à Dieu, qui est riche en Miséricorde, le secret pour faire de sa Miséricorde une pastorale dans vos diocèses. Il faut en effet que la Miséricorde forme et informe les structures pastorales de nos Églises » (Discours aux nouveaux évêques, 16 septembre 2016). Je désire le faire en marchant, comme le Bon Pasteur, tantôt devant, tantôt au milieu, et aussi derrière le troupeau qui m’a été confié. C’est dans cet esprit que je m’adresse à vous, recevant comme une immense grâce, pour moi et pour notre diocèse, ma nomination au cours de ce Jubilé de la Miséricorde : croyez-le bien, j’ai un ardent désir de vous emmener loin et plus haut sur le chemin de l’Évangile, en étant moi-même d’abord un témoin, en cherchant moi-même à être un disciple pour être aussi un missionnaire. J’ai besoin de vous, de votre témoignage, de votre foi, de votre amour de Jésus, de votre attachement à l’Église, de votre prière pour moi, de vos conseils, de vos avis, de vos idées, pour que, ensemble, nous avancions sur ce chemin de vie. Je vous invite aujourd’hui à devenir « disciples missionnaires » (cf Pape François, La joie de l’Évangile, § 119-121), à jeter les filets pour devenir pêcheurs d’hommes. C’est devenu une question de vie ou de mort dans beaucoup de diocèses de France et du monde ; soyons lucides, même si la génération des JMJ nous offre beaucoup d’enthousiasme. Les régions de vieille chrétienté comme la nôtre deviennent des pays de Mission. Et les terres de Mission voient se lever une moisson abondante.
1- Vivre ensemble une conversion missionnaire
1 a – « Jetez les filets » (Lc 5,1-10)
Voilà une page de l’Évangile qui nous dit quelque chose de notre Dieu et Seigneur : il s’appuie sur nos limites, nos habitudes, nos compétences, tout ce que nous sommes, pour nous faire porter du fruit ; un fruit qui dépasse nos limites, nos habitudes et nos compétences. C’est à la fois rassurant et source d’inspiration : la scène se déroule sur le lac, les futurs apôtres sont près de leur barque et ils rentrent de la pêche. On pourrait croire que rien ne peut changer pour eux, c’est la routine. Ils pêchent, ils peinent, et ne ramènent rien ; pourtant, ils le connaissent, ce lac, ils connaissent leur métier de pêcheurs. Et voilà que Jésus en personne prend la manœuvre et les appelle à aller au large, à jeter les filets encore une fois. La pêche sera surabondante. Ils ont le même bateau, la même voile, la même compétence, les mêmes filets, c’est le même lac, et là où il ne semblait désespérément plus y avoir aucun poisson, ils en ramènent tant que leurs filets sont près de craquer. À Simon qui reconnaît sa faiblesse devant son Seigneur, tout en accueillant la pêche miraculeuse, Jésus confie une mission : devenir pêcheur d’hommes. Il ne s’agit pas d’aller piéger qui que ce soit sans respecter sa liberté, mais de « sortir » des sentiers battus et des habitudes pour aller annoncer l’espérance que nous donne le Christ Jésus ressuscité des morts. Je voudrais m’émerveiller avec vous devant tous les membres de l’Église diocésaine, vous tous y compris, qui ont fait confiance à Jésus à travers les âges. Quelle magnifique succession d’hommes, de femmes, et d’enfants ! Quelle belle famille !
1 b – L’Histoire de notre Église Ils sont nombreux à avoir jeté les filets avant nous. La tradition rapporte que saint Memmie fut l’évangélisateur de notre région et le premier évêque du diocèse au IVème siècle. Plus tard est venu saint Alpin qui protégea la ville de l’invasion des Vandales, et laissa le souvenir d’un grand évêque protecteur de son peuple. Nous recevons de lui le désir de témoigner de l’Évangile et de servir la cité et ses habitants. Nous gardons aussi la mémoire de saint Gibrien, prêtre venu d’Irlande et grand prédicateur de l’Évangile avec de nombreux frères et sœurs comme saint Vrain à Matougues ou sainte Promptia à Vraux. Et comment ne pas citer sainte Ménehould, toute donnée au service des malades et des pauvres, nous montrant ainsi le visage de la charité active. Plus tard encore, saint Hildegrin, lui aussi évêque de Châlons, fonda l’Église de Halberstadt, actuellement dans le diocèse de Magdeburg, en Allemagne. Il accepta le risque de tout laisser pour apporter à d’autres la lumière de la foi. Il nous invite aujourd’hui à élargir nos cercles habituels pour aller vers tous ceux qui ne connaissent pas Jésus le Sauveur. En évoquant ainsi quelques visages de notre Église locale, nous mesurons qu’elle ne vient pas de nulle part : elle a été fondée et a grandi au cours des siècles grâce à des hommes et des femmes qui ont su faire confiance au Christ, dans le succès comme dans l’échec, et qui l’ont annoncé à tous les hommes, sur la terre de la Marne où Dieu nous envoie aujourd’hui.
1 c – Une succession de témoins L’aventure de l’Église, ce sont tout simplement des aventures humaines, des vies humaines touchées par la grâce du Christ et de l’Évangile. À chaque fois, il y a une histoire de conversion. La personne est la même, et pourtant tout est changé. Un vrai retournement de situation, un renouveau : la personne met alors son métier, ses dons, ses limites, parfois ses connaissances au service de la Mission. À chaque fois, il y a un regard de Miséricorde pour le prochain, une bonne connaissance des réalités locales, et la volonté de s’appuyer sur elles pour annoncer l’Évangile. Chaque baptisé est unique, chaque époque est unique, chaque mission est unique, pour annoncer le même Jésus-Christ et le même Évangile. Pierre, Paul, Memmie, Alpin, Ménehould, mais aussi François, Dominique, Jean-Marie, Don Bosco, Thérèse, Teresa, Carol… Dieu connaît chacun et l’appelle à la conversion à l’époque où il vit, là où il est, avec tout ce qu’il est, et l’envoie en mission, ici ou au loin. C’est cette expérience éternelle et toujours nouvelle, fondatrice de la vie chrétienne, à laquelle nous sommes tous appelés aujourd’hui. C’est une expérience de confiance et d’amour en Jésus-Christ ressuscité, c’est une attitude de prière, de simplicité, d’humilité du cœur, qui dit en s’en remettant à l’Amour de Dieu : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute » (1 Sa 3)
1 d – Appelés malgré nos faiblesses
Parfois, on se croit trop fatigué, trop jeune, trop vieux, trop intelligent ou pas assez, et on dit d’un air étonné : « Moi Seigneur ? Moi ? Tu dois sûrement te tromper ! » Mais même si l’appel nous fait peur, même si on a l’impression d’avoir déjà tout donné, même si les filets sont souvent revenus vides ou presque, même si les inscriptions à ceci ou cela chutent, même si on a l’impression de prêcher dans le désert, même si on connaît une certaine fatigue pastorale, même si on se sait peu nombreux, même si on peut être parfois guetté par le désespoir, ou la tentation de ne rien changer, le Christ est là et nous appelle : « jette les filets ». Encore une fois. Ce sera la bonne. Celle qui est au-delà de nos stratégies pastorales, de nos savoirs et de nos savoir-faire, tout en les utilisant pour les dépasser.
1 e – La conversion missionnaire
C’est à une conversion missionnaire que nous sommes appelés. Il s’agit de vivre une adaptation au monde dans lequel nous sommes appelés à vivre et témoigner et de se lancer dans l’aventure avec des projets nouveaux mûris dans la prière. Je parle de faire comme ont fait ceux qui nous ont précédés. Mon prédécesseur a bâti des lieux d’accueil et de travail comme la maison diocésaine, en réponse aux appels qu’il a reçus. Il a convoqué le synode diocésain de 2003-2004 « Avec les générations nouvelles, s’ouvrir à l’Évangile » dont les orientations ont nourri la vie de l’Église locale et transformé bien des réalités. Il a réformé aussi le Service de communication en créant le Sedicom (Servir Ensemble le Diocèse, Imaginer une Communication Ouverte et Missionnaire), intégré à la vie pastorale du diocèse. Il a conforté la place des équipes de conduite des paroisses mettant en œuvre une belle collaboration entre tous. Il a installé une communauté de prêtres. Il a aussi appelé des prêtres et 5 communautés de religieuses d’autres pays. Son prédécesseur avait veillé à enraciner l’enseignement du concile dans la vie diocésaine et avait aussi, par sagesse, conduit le projet de l’évêché, et fondé la radio qui est devenue RCF, dans le souci de rejoindre le plus grand nombre. D’autres avant, ici et ailleurs, ont eu le génie d’écouter les appels de l’Esprit, de jeter encore une fois leurs filets, en fondant le scoutisme, l’action catholique, les patronages, les écoles, les hôpitaux, les services caritatifs, et tant et tant d’autres réalités d’Église en phase avec leur temps. L’arrivée d’un nouvel évêque offre toujours l’occasion d’un renouveau dans l’Église locale. Nous pouvons vivre ensemble, comme vous l’avez fait déjà, comme lors du synode, une nouvelle conversion missionnaire. L’Église est vivante. Telle réalité a parfaitement convenu dans les circonstances de lieu et de temps où elle a été conçue ? Rendons grâce. Elle convient moins à la situation d’aujourd’hui ? Ce n’est pas grave. Nous ne sommes pas là pour maintenir en place des systèmes ou des habitudes, des organisations ou des structures, juste par inertie ou idéologie ou crispation ou même par fatigue ou lassitude. Si notre avenir consistait à maintenir le passé, nous serions les plus malheureux des hommes. Nous sommes là pour nous convertir, nous tourner vers le Christ et lui demander : Seigneur, que veux-tu que je fasse maintenant ? Où dois-je jeter mes filets ? Que dois-je faire ? Je vous invite à « avancer sur le chemin d’une conversion pastorale et missionnaire, qui ne peut laisser les choses comme elles sont » (pape François, La joie de l’Évangile, §25).
2 – Accueillir la nouveauté de l’Esprit
2 a – Se tenir prêts Nous ne savons pas encore tout ce que le Christ va nous appeler à faire, par son Esprit-Saint qui guide notre route. Il va peut-être nous demander de mettre fin à certaines expériences, à certaines missions, à certaines organisations. Toutes, elles naissent, grandissent, et meurent… comme nous. Comme les apôtres à Jérusalem qui passent de l’enfermement à l’annonce libre et joyeuse, nous pouvons nous laisser transformer par la « force venue d’en-haut » (Lc 24,49 ; Ac 1,8) le souffle de Dieu dont « on ne sait pas d’où il vient et où il va » (Jn 3,8) mais qui fait « toute chose nouvelle » (cf Ps 103), qui nous « enseigne toute chose » (Jn 14,26), qui nous « guide vers la vérité toute entière » (Jn 16,13), et « la vérité nous rendra libres » (Jn 8,32) ! Nous ne pouvons pas sérieusement dicter à Dieu ce qu’il doit faire, mais devons apprendre à nous laisser guider par lui, humblement et pauvrement. Nous voulons travailler avec lui à la construction de son Royaume : « Dieu est en train de préparer pour le christianisme un grand printemps que l’on voit déjà poindre » (Jean-Paul II, Redemptoris Missio, § 86). Je veux m’inscrire dans ce souffle divin, regarder en avant, faire confiance. Je ne sais pas ce que nous allons vivre ou décider, je n’ai pas d’idée préconçue, ni aucune recette miracle. Je souhaite que, ensemble, dans une véritable Église-communion, nous cherchions la volonté du Seigneur et nous tenions prêts à la mettre en œuvre. Notre communion dans le Seigneur Jésus soutiendra notre élan missionnaire.
N’ayons pas peur de regarder avec réalisme où nous en sommes et comment le monde se transforme.
2 b – Regarder ce que nous sommes C’est difficile de se voir tels qu’on est. Notre Église a connu bien des évolutions en à peine plus d’un siècle. Il est trop facile d’imaginer que tout a toujours été comme nous le voyons, ou qu’il y aurait une forme d’organisation quasi éternelle. Nous restons très marqués par une Église quadrillant le territoire, dans lequel chaque village a son clocher, son curé… Pourtant… il n’en a pas toujours été ainsi. Et ailleurs dans le monde, que de variété. L’Église n’en est pas moins dynamique et vivante. Nous ne devons pas avoir peur d’affronter notre réalité d’aujourd’hui : nous sommes pauvres. J’ai envie d’ajouter : et alors ? Tu m’envoies en mission avec ce bateau-là, ce filet-là, ces rames-là, et ma fatigue, parfois ma lassitude, et tout et tout… Que vais-je faire Seigneur ? Quelle est donc l’attitude juste ? Prendre peur ? Pleurnicher ? Regretter le passé ? Se rouler par terre ? Désespérer ? Certainement pas. La seule attitude juste, c’est la confiance du disciple. Nous avons la joie et l’espérance, nous partageons la foi des apôtres. Jésus est avec nous, au milieu de nous. Seigneur, je veux te faire confiance, et jeter le filet, ici et maintenant. Regardons qui nous sommes, combien nous sommes ; regardons nos faiblesses et nos richesses, et puis, avec ce que nous sommes, vivons la Mission, avec simplicité et pauvreté, mais force intérieure et contagion évangélique. Arrêtons ce qui doit être arrêté, et créons aujourd’hui ce qui doit être créé. Avec humilité et reconnaissance. Avec joie et espérance ! Dans l’Esprit-Saint.
2 c – Regarder le monde où nous vivons Et puis, regardons ce monde où nous vivons. De la même façon que l’Église a changé, le monde lui aussi a changé. Et à quelle vitesse ! Ce monde d’aujourd’hui a des côtés positifs et négatifs, comme à toute époque de l’histoire. On ne peut pas le regarder comme s’il s’agissait encore de l’après-guerre, du Moyen-Âge, ou de l’Antiquité. Car nous ne sommes pas appelés à jeter nos filets après-guerre, au Moyen-Âge, ou dans l’Antiquité. Mais aujourd’hui. Ce monde est traversé, justement, par la globalisation, la communication, Internet qui vient de fêter ses 25 ans. Il est fait de tablettes, de montres connectées, de Pokemon… Nous observons aussi une place croissante attribuée au profit économique souvent au détriment de la personne humaine ; nous voyons émerger de plus en plus des questions préoccupantes liées au respect de la création, notre « maison commune ». Et il y a aussi des invariants, comme la solitude des personnes âgées et malades, la pauvreté, l’injustice, la violence. Et des maux particulièrement actuels, comme le drame des migrants en exil, le terrorisme… C’est dans ce monde-là que nous sommes envoyés, vers ces personnes-là qu’il nous faut aller. Nous ne pouvons pas choisir notre monde, rêver de vivre encore comme sous l’Ancien Régime ou comme dans les années 80. Nous avons un devoir de connaître le temps dans lequel nous vivons, les hommes, les femmes, les enfants que nous servons, et de les aimer d’abord tels qu’ils sont. Avec leurs forces, leurs faiblesses, leurs opportunités, leurs freins. Avec nos propres forces, faiblesses, opportunités et freins.
2 d – Discerner les appels
de l’Esprit-Saint « Il y a une tentation qui depuis toujours tend un piège à tout chemin spirituel et à l’action pastorale elle-même : celle de penser que les résultats dépendent de notre capacité de faire et de programmer. Certes, Dieu nous demande une réelle collaboration à sa grâce, et il nous invite donc à investir toutes nos ressources d’intelligence et d’action dans notre service de la cause du Royaume. Mais prenons garde d’oublier que « sans le Christ nous ne pouvons rien faire » (cf. Jn 15,5). » (Jean-Paul II, Novo millennio ineunte du 6 janvier 2001). Cette démarche communautaire de conversion du cœur et du regard nous ouvre une porte. Nous allons chercher ensemble et discerner les appels de l’Esprit-Saint, écouter la voix du Seigneur. Nous le ferons dans la prière, l’écoute de la Parole du Seigneur, la célébration de l’Eucharistie et l’adoration du Saint-Sacrement, le service fraternel de nos frères, le sacrement de pénitence et réconciliation, nos rencontres quotidiennes, nos travaux, notre vie de famille, nos célébrations liturgiques,… et aussi dans l’écoute de nos contemporains, la rencontre avec les pauvres. Déjà là, il faut « sortir » de chez nous, de nos presbytères, de nos cercles habituels, et même de notre diocèse : nous pourrons aller découvrir ailleurs comment on peut annoncer l’Évangile d’une façon nouvelle, et chercher auprès de frères et sœurs des innovations, des projets nouveaux, des actions différentes…
3 – Partir en Mission
Tout meurt et renaît. Le disciple missionnaire reçoit cette vérité et la garde au cœur avec joie et humilité. Il se réjouit de ce qui a été vécu, et surtout de ce qui va arriver maintenant. Quand il jette le filet, il ne regarde pas en arrière. Il avance avec joie et confiance, même s’il a l’impression d’avoir déjà tout essayé, comme les apôtres après une nuit de lutte infructueuse. Je souhaite que nous soyons tous « disciples missionnaires » : ceux qui acceptent de demeurer avec Jésus et de partir en mission, ceux qui acceptent de lui faire confiance, sûrs qu’ils ne sont que des serviteurs de Celui qui se révèle à l’humanité pour lui offrir de participer à sa propre vie divine éternellement.
3 a – La dimension missionnaire de l’Église
Il y a des réalités tellement simples qu’on les oublie. Par exemple, le fait que l’Église a reçu pour mission primordiale l’annonce de l’Évangile. Et que ce commandement de la mission s’adresse à tous les baptisés. « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile » dit saint Paul (1 Co 9,16). Avec le temps, ces deux réalités peuvent nous échapper. Pourtant, nous ne sommes pas là pour produire du service ou de l’organisation, entretenir des immeubles ou publier des livres, même si toute cela doit être fait lorsque c’est utile, en son temps, avec cœur. L’Église n’est pas non plus une administration chargée d’assurer la gestion du groupe des baptisés et de leur fournir des prestations. Non, nous sommes là avant tout pour servir Dieu dans la prière, vivre la charité et annoncer l’Évangile. C’est toute la différence entre des gestionnaires et des missionnaires. Le gestionnaire reste tourné sur lui-même et ses petites affaires ; le missionnaire se recentre toujours sur le Seigneur pour être d’abord un disciple, et il sort de chez lui pour aller annoncer l’Évangile aux périphéries. La mission n’est ni une option, ni une affaire de spécialiste, réservée par exemple aux prêtres. Je compte bien entendu sur vous, les prêtres, pour réfléchir à votre comportement pastoral, lui donner une inflexion vraiment missionnaire, et pour chercher ensemble comment vivre notre ministère pastoral commun à l’avenir ; sur vous, les diacres, pour saisir toute occasion d’annoncer l’Évangile par le service ; sur vous, les personnes consacrées pour nous rappeler sans cesse la joie de se donner ainsi au Seigneur ; sur vous aussi les fidèles laïcs, quel que soit votre âge (je pense aux jeunes des JMJ et compte sur eux pour devenir des apôtres pour demain), votre état de vie, votre situation, en priorité là où vous vivez et travaillez (Vatican II, décret Apostolicam Actuositatem, sur l’apostolat des laïcs). À tous, le Seigneur de la Vie a confié des talents. Il nous demande de témoigner de lui dans le monde, par des paroles et des actes, par une vie personnelle et communautaire cohérente avec l’Évangile. Jésus est le Fils de Dieu, sauveur ! Il est ressuscité des morts ! Voilà notre foi et notre espérance ! La mission de l’Église, c’est la Mission !
3 b – La nouvelle évangélisation
Sous cette appellation, saint Jean-Paul II a développé une nouvelle dynamique missionnaire, tout particulièrement à l’approche du troisième millénaire : il la définit en déclarant que « aujourd’hui la tâche pastorale prioritaire de la nouvelle évangélisation incombe à tout le peuple de Dieu et demande une nouvelle ardeur, de nouvelles méthodes et un nouveau langage pour l’annonce et le témoignage évangélique ». (Exhortation apostolique Pastores Dabo Vobis du 25 mars 1992). L’Évangile du Seigneur est en effet invariable, et nous savons que nous ne devons pas en modifier ou en retirer un iota, une seule lettre (Mt 5,18). Mais le monde ne vit plus comme au temps de Jésus. De plus, les peuples dont l’histoire s’est enracinée très tôt dans l’Évangile – c’est le cas pour les Francs au Ve siècle – vivent aujourd’hui une sécularisation galopante. Les personnes qui se réfèrent à la Parole de la Vie sont devenus beaucoup moins nombreuses ; ceux qui consacrent toute leur vie à cette annonce aussi. L’Église entière est appelée à renouveler sa façon de témoigner, d’annoncer, d’enseigner. La Miséricorde est une clé donnée cette année par le Pape François pour vivre cette nouvelle évangélisation. Je compte offrir cette dynamique de Jean-Paul II à notre Église diocésaine. Il ne s’agit pas forcément de lancer des grandes opérations originales comme l’interpellation sur les marchés ou sur les plages, mais avant tout de vivre l’Évangile de façon cohérente, et de donner de l’Église une image joyeuse et rayonnante, un visage jeune et proche, sans rien brader par facilité.
3 c – La joie de l’Évangile
La joie ! Et si chacun se regardait dans la glace quand il accueille au presbytère, quand il vient communier… si chacun écoutait sa voix quand il lit la Parole de Dieu, quand il s’adresse à des jeunes, quand il défend son petit domaine (chorale, équipe, service…) je vous assure, il y a de quoi fuir, ou rire ! Je pense que vous en conviendrez. La joie de l’Évangile doit habiter nos cœurs, éclairer notre regard, dessiner nos lèvres pour parler, ouvrir nos mains pour servir. Nous voici comme saint Memmie dans ce territoire de la Marne, pas tout à fait inconnu pour nous, mais que nous devons malgré tout apprendre à mieux connaître. Nous devons nous regarder nous aussi comme nous sommes, et nous demander : que pouvons-nous dire, et comment le dire, à nos contemporains, tels qu’ils sont, dans cet aujourd’hui de Dieu où nous sommes appelés à être disciples missionnaires ? Ne soyons entravés ni par nos préjugés, ni par nos structures, ni par nos habitudes. Par amour pour le Christ et l’Église, dans le souffle de l’Esprit-Saint, par amour pour ce monde où nous vivons, ce à quoi nous renoncerons, nous y renoncerons avec joie, ce que nous inventerons, nous l’inventerons avec joie, les mandats que nous abandonnerons, nous les abandonnerons avec joie, les missions que nous recevrons, nous les recevrons avec joie. Ensemble, frères et sœurs, n’ayons pas peur de devenir les « disciples missionnaires » à qui le Seigneur demande de jeter les filets d’une façon nouvelle. N’ayons pas peur d’ouvrir la porte de l’espérance. Cette conversion n’est pas un fardeau, mais une source de joie, je vous le promets. En ce jour où nous fêtons la petite Thérèse, jeune carmélite n’ayant jamais quitté son cloître et devenue patronne des missions, je vous invite à balbutier ses propres mots :
« Seigneur, je voudrais être missionnaire.
Malgré ma petitesse,
je voudrais éclairer les âmes,
comme les prophètes, les docteurs,
j’ai la vocation d’être Apôtre…
Je voudrais parcourir la Terre,
prêcher Ton nom
mais ô mon Bien-Aimé,
une seule mission ne me suffit pas.
Je voudrais en même temps annoncer
l’Évangile dans les cinq parties du monde
et jusque dans les îles les plus reculées…
Je voudrais être missionnaire
non seulement pendant quelques années,
mais je voudrais l’avoir été
depuis la création du monde
et l’être jusqu’à la consommation
des siècles.
Ainsi soit-il. »
à Notre-Dame de l’Épine, le 1er octobre 2016, en la fête de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face,
+ François TOUVET
Évêque de Châlons