Samedi 8 janvier 2022
Ordination David Bonnetain
Cathédrale Saint Étienne
Chers frères et sœurs,
cher David,
alors que s’achève demain le temps liturgique de Noël avec la célébration du Baptême du Seigneur qui marque en quelque sorte l’inauguration du ministère de Jésus, nous allons d’épiphanie en épiphanie. Dimanche dernier, nous célébrions la venue des mages à Bethléem, et tout au long de cette semaine, l’Évangile a offert à notre méditation d’autres évènements qui furent autant d’épiphanies du Seigneur, des manifestations de sa présence active pour le salut de l’humanité : lundi, les guérisons opérées par Jésus en Galilée ; mardi, la multiplication des pains ; mercredi, la tempête apaisée ; jeudi, la lecture d’Isaïe à la synagogue de Nazareth ; hier, la guérison d’un lépreux. Aujourd’hui, nous entendons les paroles du Baptiste. Il s’efface devant Jésus en disant : « Je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé par lui […] Lui, il faut qu’il grandisse, et moi, que je diminue ». Saint Jean-Baptiste nous présente Jésus comme Celui qui vient du Ciel. Nous accueillons toutes ces épiphanies comme des étoiles pour éclairer nos cœurs et nous guider sur le chemin de la vie.
Autre « épiphanie » - je reprends ce mot à dessein - l’ordination d’un prêtre. À travers les gestes de mon humble ministère, soutenu par votre prière ardente, voilà qu’un homme, choisi par Dieu parmi les baptisés que nous sommes tous, va être configuré au Christ Prêtre et Pasteur pour exercer le ministère, comme une prolongation, une perpétuation du ministère de Jésus, et donc une manifestation de Dieu qui nous sauve, une épiphanie.
J’entends déjà des remarques comme notre époque en a le secret : « David n’est pas le Messie, tout de même ! », « vous y allez un peu fort en rapprochant ainsi le prêtre et le Christ », « vous semblez oublier que tous les baptisés sont aussi des images du Christ », « ne tombez-vous pas dans le piège du cléricalisme ? », « on ne peut pas parler comme cela du prêtre aujourd’hui…les temps ont changé »… Mais non, rassurez-vous, ces raccourcis simplistes ne mènent pas loin. Je sais bien que l’épouvantail du cléricalisme est facile à agiter en ce moment, au point de faire de tout clerc un homme dont il faudrait se méfier. Non, non et non ! Ça suffit ! Chers frères prêtres, vous avez ici tout mon soutien et je vous redis mes encouragements. Notre ministère est beau et grand, et nous y serons fidèles jusqu’au bout ! Je sais aussi que tous les baptisés partagent la même dignité et la même vocation à la sainteté. À vous tous, frères et sœurs qui aimez l’Église et la servez, je redis aussi mes encouragements et ma reconnaissance. Notre nom de chrétiens (christiani) est beau et grand, et nous veillons à en être dignes ! Il faut bien faire attention à ne pas nous laisser piéger par des idéologies qui visent à opposer les personnes, ou par des groupes de pression qui voudraient instrumentaliser la question des abus pour effacer la constitution apostolique de l’Église et dénaturer le sacerdoce catholique. De même pour les courants de pensée qui, à l’inverse, placent le prêtre sur un tel piédestal qu’il en deviendrait comme un ange ou un dieu sur terre.
C’est pourquoi, quelques minutes avant d’invoquer le Saint-Esprit sur notre frère David, je veux reprendre avec vous quelques points de l’enseignement de l’Église, tirés du décret du concile Vatican II Presbyterorum Ordinis sur le ministère et la vie des prêtres. Cet enseignement rejoint le grand mystère de l’incarnation de Dieu, célébré à Noël et jusqu’à demain : Jésus de Nazareth est « vrai homme et vrai Dieu », comme nous l’affirmons dans notre profession de foi. De même comme dans tous les sacrements, action de Dieu signifiée par une réalité humaine, nous retrouvons dans l’ordination du prêtre ces deux dimensions humaine et divine : « Pris du milieu des hommes et établis en faveur des hommes, […], les prêtres vivent avec les autres hommes comme avec des frères. C’est ce qu’a fait le Seigneur Jésus : Fils de Dieu, homme envoyé aux hommes par le Père, il a demeuré parmi nous et il a voulu devenir en tout semblable à ses frères, à l’exception cependant du péché. […] Par leur vocation et leur ordination, les prêtres de la Nouvelle Alliance sont, d’une certaine manière, mis à part au sein du Peuple de Dieu ; mais ce n’est pas pour être séparés de ce peuple, […] ; c’est pour être totalement consacrés à l’œuvre à laquelle le Seigneur les appelle. Ils ne pourraient être ministres du Christ s’ils n’étaient témoins et dispensateurs d’une vie autre que la vie terrestre, mais ils ne seraient pas non plus capables de servir les hommes s’ils restaient étrangers à leur existence et à leurs conditions de vie. » (§3).
Ainsi donc, tout prêtre peut et doit redire avec moi, comme Jean-Baptiste : « je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé par lui. […] Lui, il faut qu’il grandisse, et moi, que je diminue ». Autrement dit : je suis un homme comme vous, un baptisé comme vous, un disciple comme vous, un pécheur comme vous, mais j’ai reçu une grâce particulière qui fait de moi le serviteur du Seigneur, et votre serviteur, votre guide, votre pasteur pour vous aider à vivre avec le Christ, en me donnant tout entier en sacrifice, sans compter et sans regarder en arrière. Le concile le dit ainsi : « le sacerdoce des prêtres, s’il repose sur les sacrements de l’initiation chrétienne, est cependant conféré au moyen du sacrement particulier qui, par l’onction du Saint-Esprit, les marque d’un caractère spécial, et les configure ainsi au Christ Prêtre pour les rendre capables d’agir au nom du Christ Tête en personne »(§2).
Voilà la clé du sacrement de l’Ordre : agir au nom du Christ. Tout ça, oui. Et rien de moins, rien de plus. C’est cela qui est beau et qui fait notre joie aujourd’hui pour David, pour ses chers parents et sa famille, pour ses amis bourguignons et pour notre Église diocésaine, pour nos 2 séminaristes. Voici un homme, disciple du Seigneur, qui choisit de « quitter son père et sa mère, sa terre… » pour servir ici le Peuple de Dieu. Il le fera avec ce qu’il est, et ce qui l’a construit jusqu’à aujourd’hui, y compris les 2 dernières années en insertion missionnaire dans la Brie puis dans le Vignoble. Il le fera surtout avec la grâce de Dieu : l’ordination ne fait pas de lui un surhomme, ni un petit chef autoritaire qui fait tout partout et tout de suite, ni un fonctionnaire du culte qui assure le minimum et attend qu’on vienne à lui, mais un serviteur passionné dont la vie est enracinée dans la prière, un pasteur qui guide et enseigne avec charité et délicatesse, un missionnaire de l’Évangile, un prophète de l’espérance, un prêtre qui se donne en sacrifice et qui pardonne, un homme de communion et de miséricorde, toujours dans l’obéissance qui le lie à son évêque, « moi-même et mes successeurs » selon la formule du pontifical des ordinations.
Première mission du prêtre : « Je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé par lui » comme ministre de la Parole de Dieu. Le concile rappelle que c’est le premier devoir du prêtre que d’annoncer l’Évangile à tous, car « C’est la parole de salut qui éveille la foi dans le cœur des non-chrétiens, et qui la nourrit dans le cœur des chrétiens »(§4). Prêcher l’Évangile, c’est d’abord en vivre. C’est aussi « enseigner, non pas [leur] sa propre sagesse, mais la Parole de Dieu, et inviter tous les hommes avec insistance à la conversion et à la sainteté »(§4). Dans un monde où chacun trouve ou construit son propre magistère sur internet et les réseaux sociaux, et où tant de personnes sont accablées et désorientées, il est urgent de proclamer l’Évangile, parole de vie et de vérité, parole d’espérance et de confiance, parole de salut et de miséricorde. Le prêtre n’est pas un professeur qui assène des leçons de façon abstraite du haut de sa chaire, ni un gourou qui séduit par son éloquence, il est un porte-parole, un porte-voix de Jésus qui rejoint chacun dans la réalité de sa vie, marche avec lui sur la route, ouvre son intelligence et fait brûler son cœur de la charité divine.
Deuxième mission : « Je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé par lui » comme ministre des sacrements. Les pères du concile nous le disent : « par le ministère de l’évêque, Dieu consacre des prêtres qui participent de manière spéciale au sacerdoce du Christ, et agissent dans les célébrations sacrées comme ministres de celui qui, par son Esprit, exerce sans cesse pour nous, dans la liturgie, sa fonction sacerdotale »(§5). Le prêtre n’est pas au-dessus des sacrements, il en est d’abord bénéficiaire car il reçoit comme nous la grâce du mystère pascal : baptisé et confirmé, il se nourrit de l’Eucharistie avant de la distribuer aux fidèles, et il reçoit le pardon de ses propres péchés avant de donner l’absolution, il reçoit lui aussi l’onction des malades dans sa faiblesse. Et quand il agit avec l’étole, il n’est pas un magicien ou un druide qui accomplirait des rites vidés de sens : par sa présence, ses paroles, ses gestes, c’est Jésus qui est là, Jésus qui parle, Jésus qui offre sa grâce, sa vie, Jésus qui donne le pardon, la guérison, la nourriture spirituelle. Le point culminant, source et sommet de toute vie chrétienne et de l’évangélisation, c’est l’Eucharistie, dans laquelle la configuration au Christ Prêtre apparaît de façon éminente : « ceci est mon corps » dit le prêtre sur le pain, et non « ceci est le corps du Christ ». Le prêtre s’offre en sacrifice chaque fois qu’il préside à l’autel, et il introduit le peuple de Dieu dans cette offrande. D’ailleurs, la nouvelle traduction du missel romain remet davantage en valeur l’articulation entre le sacerdoce des fidèles et le sacerdoce des prêtres, telle que le concile nous l’enseigne : « Les prêtres apprennent donc aux fidèles à offrir la victime divine à Dieu le Père dans le sacrifice de la messe, et à faire avec elle l’offrande de leur vie »(§5).
Troisième mission enfin : « Je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé par lui » comme pasteur. « Exerçant, pour la part d’autorité qui est la leur, la charge du Christ Tête et Pasteur, les prêtres, au nom de l’évêque, rassemblent la famille de Dieu, […] et par le Christ dans l’Esprit, ils la conduisent à Dieu le Père. Pour exercer ce ministère, comme pour les autres fonctions du prêtre, ils reçoivent un pouvoir spirituel, qui leur est donné pour l’édification de l’Église »(§6). Nous le voyons bien dans ces quelques mots, le vrai pasteur, c’est le Christ ; la Tête du Corps, c’est le Christ. Le prêtre est là pour guider au nom du Christ et rassembler autour du Christ. Il ne s’agit pas pour lui de constituer sa cour ni de rassembler ses fans, mais d’aller chercher la brebis égarée, celle qui est perdue, de la prendre sur ses épaules et de la ramener à la bergerie (cf Jn 6). Le pasteur ne pilote pas une entreprise tel un gestionnaire ou un directeur. Il donne sa vie pour ceux dont il a reçu la charge. Il les connaît, il les sert, il les aime et se montre toujours disponible pour accueillir, visiter, écouter, réconforter. Cette dimension très relationnelle de son ministère exige de lui, outre la résidence dans sa paroisse, une collaboration étroite avec les fidèles laïcs, promouvant leur rôle dans la mission de l’Église, respectant leur liberté et les écoutant volontiers, tenant compte de leurs désirs et reconnaissant leur expérience et leurs compétences, discernant leurs charismes et leur faisant confiance en leur remettant des charges au service de l’Église (cf PO §9). La fameuse Église synodale, elle est là.
Nos pauvres moyens ne nous permettent pas d’être partout et de tout faire. Notre diocèse s’est donné, à travers mon ministère de successeur des Apôtres, un projet missionnaire dont la vision est de développer, tels des « prophètes de l’espérance », des oasis de vie chrétienne dans le désert. Je pense que cette ordination est une oasis, un grand moment de joie et de fraternité, un lieu de grâce et de renouveau, un appel. Une épiphanie.
Voulez-vous, dans un moment de grand et profond silence, prier le Seigneur de faire se lever parmi nous, après David, et après Jean et Wandrille qui poursuivent leur formation au séminaire de Paris, des hommes qui diront « me voici » pour prendre la relève au service du saint Peuple de Dieu en répétant : « je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé par lui » ?
Amen.
Samedi 8 janvier 2022 - Ordination David Bonnetain