Toussaint - Cathédrale Saint-Étienne - Mercredi 1er novembre 2023
Chers frères et sœurs,
Vous lirez bientôt mon éditorial du mois de novembre dans « Église de Châlons ». Les plus branchés d’entre vous l’ont déjà regardé en vidéo sur les réseaux sociaux, n’est-ce pas ? Je développe l’idée que sainteté et folie ont quelque chose en commun. Cette idée n’est pas de moi, mais de saint Paul qui affirme : « ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est » (1 Co 1,27-28).
Les pèlerins du diocèse rentrés d’Algérie avant-hier – j’ai dû à regret y renoncer pour me reposer quelques jours – auront été marqués par le témoignage des moines de Thibirine ou de la Bienheureuse Sœur Odette Prévost qui écrivait tout juste un an avant son assassinat à Alger le 10 novembre 1995 : « Si nous choisissons chacune, […] si nous re-choisissons, chacune, aujourd’hui, librement, de rester, c’est en connaissance de cause. Ayant conscience que c’est un moment privilégié de vivre avec plus de vérité la fidélité à Jésus-Christ et à l’Évangile que nous avons choisi et pour laquelle nous nous sommes engagées pour toujours ». (Lettre du 17 novembre 1994). Personnellement, j’ai été très marqué aussi il y a quelques jours par la déclaration du Patriarche de Jérusalem, tout jeune Cardinal : « Pour sauver les enfants kidnappés et retenus en otage par le Hamas, si nécessaire, je suis prêt à m’offrir à leur place. Je ferais n’importe quoi, même cela, pour ramener ces enfants à la liberté. Il n’y a pas de problème pour moi, il y a une volonté absolue ».
Il y a bien de la folie dans ces déclarations, folie aux yeux des hommes, mais sagesse selon le cœur de Dieu. Les hommes rigolent lorsqu’ils croisent un saint, une personne qui donne sa vie, une autre qui pardonne, une autre qui se retire du monde pour prier, jusqu’au jour où ils se rendent compte que cette folie apparente est un socle, un roc, une lumière, un exemple prophétique pour une humanité en danger.
Chers amis, nous sommes tous appelés à devenir des saints, donc des fous aux yeux des hommes. Ils sont nombreux à s’être engagés sur ce chemin, allant parfois jusqu’au martyre, en tous cas en s’exposant à la moquerie, au rejet, à l’indifférence, à la violence, à la persécution. Les chrétiens d’Orient et ceux de l’ancien bloc communiste de l’URSS pourraient en témoigner. Ça ne fait pas rire. Au contraire, ça fait pleurer, pleurer d’émotion tellement c’est beau. En ce matin de la Toussaint, attardons-nous sur cette expression de saint Jean entendue dans la 2ème lecture : « nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est ». Il parle du Seigneur, bien sûr. C’est fou, ça. Être semblable à Dieu, d’une part, et le voir, d’autre part !
Être semblable à Dieu. Nous connaissons le récit du péché originel dans le livre de la Genèse. Adam et Eve, représentent toute l’humanité, et donc chacun d’entre nous. Ils font l’objet des assauts du démon qui leur dit à répétition : mais si, n’écoutez pas ce que Dieu vous a dit, mangez du fruit défendu, « vous serez comme des dieux ». Elle est là, la tentation : être comme Dieu, prendre la place de Dieu, déterminer soi-même ce qui est bien et ce qui est mal. Dieu les avait pourtant bien créés à son image et à sa ressemblance. L’homme et la femme sont donc comme Dieu, mais le démon les pousse plus loin en faisant d’eux des usurpateurs. Comme notre société d’aujourd’hui, ils chassent Dieu et deviennent leur propre dieu. La sainteté, pour nous, consiste à rechercher la ressemblance avec Dieu, ou plutôt à la préserver. En effet, nous l’avons reçue lors de notre baptême, nous avons retrouvé la ressemblance. Là, nous avons été purifiés du péché originel, arrachés au pouvoir de la mort. La sainteté est magnifiquement représentée par notre vêtement blanc : « vous tous qui avez baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ ! » chantons-nous en reprenant les mots de saint Paul. Oui, nous nous sommes « dépouillés du vieil homme pour revêtir l’homme nouveau ». La sainteté n’est pas de l’héroïsme. Ce n’est pas les Jeux Olympiques avant l’heure ! La sainteté, c’est aujourd’hui, dans la banalité de ma vie quotidienne, dans mes relations humaines, familiales, amicales, professionnelles : être comme Jésus, vivre comme Jésus, pardonner comme Jésus, parler comme lui, aimer comme lui. C’est vrai, c’est un combat ! « Je fais le mal que je ne voudrais pas et je ne fais pas le bien que je voudrais », nous dit aussi saint Paul. C’est fou de penser que nous sommes appelés à être semblables à Jésus, semblables à Dieu lui-même. Ce que saint Irénée résumera très bien : « Le Verbe de Dieu a habité dans l'homme et s'est fait Fils de l'homme pour habituer l'homme à recevoir Dieu, et habituer Dieu à habiter en l'homme selon le bon plaisir du Père » (A. H. III, 20, 2).
Non seulement être semblable à Dieu, mais voir Dieu. Là encore, c’est de la folie ! Dans sa célèbre « Somme Théologique » Saint Thomas d’Aquin évoque la perspective de la vision béatifique, et fonde tout son développement doctrinal sur cette vision qui est le but de notre vie. Toute la vie chrétienne est orientée vers cette grâce de voir Dieu face à face, de le contempler sans fin dans la gloire du Ciel. Pourtant, nous le savons, dans l’Ancien Testament, il n’est pas question de voir Dieu. Au contraire, il faut se voiler la face devant lui. Moïse, devant le buisson ardent, entend Dieu lui parler mais il ne le regarde pas, il baisse les yeux. Le Seigneur est un Dieu caché. Il ne se laisse pas voir comme cela. Mais quand les temps furent accomplis, « Dieu s’est rendu visible à nos yeux », c’est saint Jean qui le dit dans le prologue de son Évangile. Et à la fin, il dit bien qu’il témoigne de ce qu’il a vu et entendu, un peu comme dans sa première lettre : « Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons. Oui, la vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage : nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous. ». Voir Dieu, c’est donc possible. Saint Irénée, là aussi, exprime en quelques mots ce beau et grand mystère : « La gloire de Dieu c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme c'est la vision de Dieu. » (A.H. IV, 20, 7).
Être semblable à Dieu et voir Dieu tel qu’il est. C’est pour les saints, et donc pour les fous ! Les fous de charité, de foi et d’espérance. Cher frères et sœurs, éclairés par tous les saints du Ciel qui intercèdent pour nous, avançons vers la sainteté sur le chemin des Béatitudes, entendues dans la proclamation de l’Évangile. Soyons fous ! « Nous serons semblables à Dieu parce que nous le verrons tel qu’il est ».
Amen.
Mercredi 1er novembre 2023 - Toussaint - Cathédrale Saint-Étienne