Messe de Requiem
pour S.S. le Pape Benoit XVI
Mercredi 4 janvier 2023 à la Cathédrale de Châlons
Chers frères et sœurs,
Écoutons ces quelques mots en regardant la crèche : « A Noël, nous ne célébrons pas l'anniversaire d'un personnage important comme il y en a tant. Pas plus que nous ne célébrons simplement le mystère de l'enfance. […] si nous nous accrochons seulement à cela, au nouveau commencement de la vie chez l'enfant, à la fin, il pourrait ne nous rester entre les mains que de la tristesse : cette nouveauté aussi s'usera. […] Voilà pourquoi il est si important qu'à Noël, quelque chose de plus soit arrivé: le Verbe s'est fait chair. […] Ce qui est inconnu, ce qui est impensable, et pourtant toujours attendu, ce qui même est nécessaire, est en effet arrivé : Dieu est venu parmi nous. ». C’est le Pape Benoit XVI, alors jeune Cardinal archevêque de Münich-Freising, qui avait dit cela dans son homélie de Noël en 1977 (https://benoit-et-moi.fr/.../le-verbe-sest-fait-chair.php). Ses mots nous invitent à contempler encore et encore ce petit Enfant devant lequel viennent se prosterner les bergers de Bethléem et les mages venus de loin. Toute l’humanité est appelée à la crèche parce que cette naissance, et donc la présence de cet Enfant parmi nous, l’Emmanuel, donne un sens nouveau à toute notre vie et à l’histoire de l’humanité.
Dans la première lettre de saint Jean que nous venons d’entendre, le Seigneur nous dit même : « c’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu s’est manifesté ». On le dit aussi dans notre Credo : « pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du Ciel ; par l’Esprit-Saint, il a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme ». Notre acte de foi est là. Dieu est venu en ce monde pour nous arracher au pouvoir du péché et de la mort. Le bienaimé Pape Benoit l’a enseigné bien au-delà des murs de l’université de Tübingen ; il a prêché ce grand mystère du salut avec toute la force de la Tradition vivante, comme il l’avait développé, par exemple, dans son livre « Foi chrétienne hier et aujourd’hui » en 1968 après avoir vécu le concile Vatican II comme expert.
Le dialogue des deux disciples avec Jésus, entendu dans l’Évangile selon saint Jean, nous éclaire sur la façon dont nous pouvons accueillir ce mystère. « Que cherchez-vous ? » - « Maître, où demeures-tu ? » - « Venez et vous verrez ». Être chrétien, c’est rencontrer Jésus. Ce n’est pas être un savant en théologie, ni un généreux humaniste, ni un moraliste observant, mais un disciple. Celui qui se met à l’écoute du Maître, et qui cherche à mettre sa parole en pratique et à en vivre. Cette rencontre des deux disciples conduit bien à la Mission : André s’empresse d’amener son frère Simon vers Jésus : « Nous avons trouvé le Messie » et Jésus lui confie déjà une mission à lui aussi : « tu t’appelleras Pierre ». Nous le savons, sa mission sera précisée dans un autre dialogue qu’on retrouve dans l’Évangile selon saint Matthieu : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église » (Mt 16).
C’est justement cette mission que le successeur de Pierre au début du XXIè siècle a assumé du mieux qu’il a pu, tout en disant dès son élection en 2005 : « après le grand Pape Jean-Paul II, messieurs les Cardinaux m’ont élu moi, un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur ». En effet, nous avions bien remarqué qu’il n’avait pas le même charisme que son prédécesseur, mais cela ne voulait pas dire qu’il n’en avait pas, du charisme. Timide et discret, il était très largement écouté. A sa façon, comme Jean-Paul II avant lui et François après lui, il a accompagné le réveil missionnaire que l’Église cherche à développer. La chrétienté est une fiction aujourd’hui, la paganisation avance à grande vitesse, mais la vocation missionnaire du chrétien demeure. Elle redouble même. Benoit XVI a souvent rappelé la contradiction constituante du christianisme au cœur du monde, comme en ce jour de l’Épiphanie 2013 où il disait : « Celui qui vit et annonce la foi de l’Église, sur de nombreux points n’est pas conforme aux opinions dominantes justement aussi à notre époque. » Nous ne cherchons pas à nous démarquer par principe ou à dénigrer le monde de façon systématique, nous refusons aussi de nous comporter en fondamentalistes intransigeants, mais nous voulons demeurer fidèles au message des Apôtres, éviter le relativisme contemporain et garder la liberté de témoigner et d’agir selon l’Évangile.
Frères et sœurs, moi comme vous et vous comme moi, ensemble, c’est notre vocation : rencontrer Jésus et annoncer que nous l’avons rencontré. Nous pouvons donc nous interroger sur notre rencontre avec Jésus qui est le seul fondement possible pour notre mission de baptisés : cette rencontre est-elle un événement du passé ? Est-elle seulement intellectuelle ou culturelle ? Sommes-nous capables de dire « nous avons trouvé le Messie » ? Nous donnons-nous les moyens de nous mettre en route derrière celui que Jean le Baptiste désigne comme « l’Agneau de Dieu » ? Le reconnaissons-nous réellement présent dans l’Eucharistie célébrée chaque Dimanche et dans la communion à laquelle nous sommes invités : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde » ? Le reconnaissons-nous aussi dans le pauvre qui nous appelle à son service : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » ? Le reconnaissons-nous agissant dans son Église, même si son image est bien abimée par ce qu’on appelle « les affaires » ? L’entendons-nous enseigner et guider l’humanité par la voix du Magistère de l’évêque de Rome et de tout le collège épiscopal ? Le voyons-nous guérir, réconforter, soutenir, encourager ou réconcilier dans tous les services rendus par les baptisés ?
Notre action de grâce pour le ministère de Benoit XVI et son service fidèle de l’Église pendant plus de 70 ans nous invite à aller nous-mêmes plus loin dans notre acte de foi et dans notre engagement, dans notre conversion personnelle et communautaire. Retenons l’avertissement entendu dans la première lecture : « quiconque ne pratique pas la justice n’est pas de Dieu, et pas davantage celui qui n’aime pas son frère ».
Notre prière pour le repos de l’âme de Benoit XVI nous invite aussi à regarder la mort avec les yeux de la foi comme il a essayé de le faire. Il écrivait par exemple : « En mourant, l'homme s'en va vers la réalité et la vérité sans voile. Le jeu de masque d'une vie qui se retranche derrière des positions fictives est fini. L'homme est alors ce qu'il est en vérité. » (Joseph Ratzinger, La Mort et l'au-delà,1994).
Sa renonciation et son silence pendant 10 ans nous invitent tout simplement à l’humilité et à la prière, chacun dans la mission qui est la nôtre. Amen.
4 janvier 2023 - Requiem Benoit XVI