L’histoire

Aux origines du sanctuaire de L’Epine, un récit, qui a traversé les siècles : vers l’an 1400, dans la nuit de l’Annonciation, des bergers découvrent une statue de la Vierge au cœur d’un buisson d’épines rayonnant de lumière. 

Dans un contexte marqué par la guerre de Cent Ans et les épidémies de peste, cet évènement est interprété par la ferveur populaire comme un signe divin de protection et de délivrance. Les pèlerins affluent, déposant leurs offrandes qui serviront à construire, entre 1406 et 1527, cette magnifique basilique de style gothique flamboyant.

Le puits du chantier, dont « on boit l’eau par dévotion », restera présent à l’intérieur même de l’église. La tradition lui prête des vertus de fécondité.

De génération en génération, Notre-Dame de l’Epine est invoquée comme protectrice de la vie naissante et de la petite enfance. On vient en ce lieu confier sa maternité ou sa paternité. Les couples en espérance d’enfant s’y rendent dans une démarche de prière et de confiance.

Plus largement, le pèlerinage à L’Epine est l’occasion pour chacun de recevoir une grâce de guérison là où sa vie a été blessée, pour qu’elle puisse à nouveau jaillir et fleurir.

Lieu de prière marial depuis le XIIIème siècle, élevé au rang de basilique en 1914, la basilique de l’Epine est inscrite depuis 1998 au patrimoine mondial de l’UNESCO au titre des chemins de saint Jacques de Compostelle.

Le 14 mai 2023 y sera célébré le 150ème anniversaire du pèlerinage diocésain de Chalons auprès de Notre-Dame de l’Epine, « protectrice de la Champagne ».

Récit de la découverte de la statue de Notre-Dame de l’Epine, mis par écrit par Edme Baugier en 1721 :

« Aux temps troublés de la Guerre de Cent Ans, « en l’année 1400, la veille de la fête de l’Annonciation, un berger de la ferme conduisant sur le soir son troupeau vers la chapelle, aperçut, au milieu d’un gros buisson d’épines qui en était proche, une lumière extraordinaire, de laquelle les moutons s’étant effrayés prirent la fuite du côté de la plaine, il n’y eut que les agneaux qui s’approchant de ce buisson furent cause que ce berger s’en approcha aussi pour examiner d’où pouvait venir cette lumière. Il reconnut qu’il y avait dans ce buisson une petite image de la Vierge tenant son Fils entre ses bras : mais la lumière l’éblouit tellement qu’il tomba par terre. Cette lumière s’étant augmentée lorsque la nuit survint, on y accourut de tous les endroits d’où elle pouvait être vue [et particulièrement des villages de Courtisols et de Melette : elle dura pendant toute la nuit été tout le jour suivant ; ce lieu étant fort haut, elle fut aperçue de plus de dix lieues à la ronde.] Enfin cette clarté ne paraissant plus, les curés des villages circonvoisins avec celui de Melette prirent la résolution de visiter ce buisson qu’ils trouvèrent aussi vert qu’en plein été, et en ayant retiré l’image, que l’on garde encore à présent dans l’église de l’Epine, ils la portèrent dans la chapelle. Ce prodige attira une infinité de personnes, qui accoururent de toute la Champagne à cette chapelle, où ils firent des offrandes considérables qui furent recueillies pour la construction de l’église. »

Marie au buisson ardent

La spécificité de l’histoire de Notre-Dame de l’Epine réside non pas tant dans le symbole de l’épine ou aubépine, fleur mariale au Moyen-Age, comme dans d’autres sanctuaires : Notre-Dame de l’Epine à Evron (Mayenne), Notre-Dame du Roncier à Josselin (Morbihan), la Vierge d’Espino (Espagne), Notre-Dame de l’Epine à Berlens (Suisse), que dans le thème du buisson. Cela invite à un rapprochement avec la révélation à Moïse, peu courant à l’époque en Occident

 « Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb. L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer.  

Moïse se dit alors : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » Le Seigneur vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! » Dieu dit alors : « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! » Et il déclara : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu.

Le Seigneur dit : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un beau et vaste pays, vers un pays, ruisselant de lait et de miel. » (Exode 3, 1-8)

Depuis le IVème siècle, la liturgie du 1er janvier (en Orient comme en Occident) associe l’image du Buisson ardent contemplé par Moïse à la maternité virginale de la Vierge Marie.

A partir du XIIème siècle, les chanoines de l’abbaye de Saint Victor à Paris composent des hymnes associant Marie à la métaphore du Buisson de Moïse en la rapprochant de l’autre métaphore, celle du « lys entre les épines » (Cantique 3,3).

Au XIIème siècle, l’iconographie commence à associer la Vierge avec le buisson en les juxtaposant. La représentation de Marie sur le buisson ardent est plus rare : 

  • en Orient, sur les icônes qui se diffusent depuis Sainte Catherine du Sinaï (où la tradition situait l’emplacement du Buisson ardent. (Le voyage au Sinaï, associé au pèlerinage en Terre Sainte, était en plein essor à la fin du Moyen-Age. Gilles Paixel, qui a offert une relique du Saint Lait de la Vierge à L’Epine en 1406, en revenait.)
  • en Occident : le retable commandé pour la cathédrale d’Aix-en-Provence par le roi René d’Anjou vers 1470

Ci-dessus : Panneau central du triptyque du Buisson Ardent réalisé par Nicolas Froment au XVème siècle, cathédrale d’Aix-en-Provence.

  • dans l’église de l’Epine : le vitrail de la chapelle axiale, du XVème siècle jusque vers 1840, représentait la Vierge Marie siégeant comme sur un trône dans un buisson d’aubépine au feuillage de lumière, surplombée d’une étoile lumineuse, et entourée de brebis et d’agneaux, et de bergers en adoration. S’agissait-il de la représentation de la découverte de la statue miraculeuse par les bergers, ou bien de la représentation du Buisson ardent servant de trône à la Vierge à l’Enfant, avec Moïse berger se déchaussant, comme sur le retable d’Aix ? 

Les éléments décrits sur ce vitrail ont été conservés dans le vitrail actuel de la chapelle saint Jean-Baptiste, avec les détails de la chouette (symbole du peuple de la première alliance dans l’attente du Messie : « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière » (Is 9,1) et de l’étoile (antienne des laudes de la solennité de Marie Mère de Dieu : « La tige de Jessé a fleuri, une étoile est sortie de Jacob, la Vierge a enfanté le Sauveur. Nous te louons, ô notre Dieu. »)

Vitrail de la basilique à la chapelle saint Jean-Baptiste, réalisé d’après la description du vitrail de la chapelle axiale, du XVème siècle, détruit accidentellement au XIXème siècle. 

Récit légendaire et lecture symbolique ne s’opposent pas : 

« Il faut que l’imagination et l’art aient une bien grande puissance, puisqu’une simple métaphore, une figure de rhétorique, a fait pousser dans ce désert de la Champagne une des plus jolies églises gothiques. […] Ainsi donc cette comparaison pleine de grâce et de poésie, réalisée par des bergers champenois la veille de l’Annonciation, au quatorzième siècle, a fait bâtir le bijou de Notre-Dame de l’Epine. » (Dideron, « Notre-Dame de l’Epine », 1839) 

Le puits de la sainte Vierge

« Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent !
Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose,
qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie ! Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent,
dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas.
Voici votre Dieu : il vient lui-même et va vous sauver. » Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie ; car l’eau jaillira dans le désert, des torrents dans le pays aride. » (Isaïe 35, 1-6)

 

Quel plus beau symbole de vie que celui du puits, dans une terre stérile et couverte d’épines… ?

L’image biblique de l’eau jaillissant dans le désert, fréquente dans les écrits des prophètes, est une promesse de salut, de vie nouvelle, de fécondité.

Le puits de la basilique s’inscrit dans cette tradition. D’une profondeur de 26m, il a été creusé dans les premières années du XVème siècle pour la construction de l’église. 

Très vite, les pèlerins ont bu de l’eau par dévotion dans une démarche de foi. Des miracles et des grâces nombreuses ont été attestés au long des siècles (naissances, réanimation d’enfants mort-nés, guérison d’une aveugle-née en la fête de l’Assomption, guérison de maladies de la peau, de paralysies…), si bien qu’il n’a jamais été retiré. 

Même s’il est d’usage dans la région de rester discret par rapport aux grâces reçues (secret des cœurs qui se transmettent en famille de de génération en génération), la réputation de fécondité attribuée à l’eau du puits a traversé les siècles et se poursuit aujourd’hui encore, avec le témoignage de naissances survenues après une démarche de prière auprès du puits. 

En reconnaissance, le puits de la basilique a été nommé à la fin du XIXème siècle « Puits de la Sainte Vierge ». 
En 1912, le pape saint Pie X a associé le sanctuaire de L’Epine à celui de Lourdes : c’est « le petit Lourdes champenois ». 

Dans la bible, le puits est également associé à la rencontre : 

  • Rencontre de l’époux et de l’épouse, comme en Genèse 24, 10-27 (Rébecca et Isaac), Genèse 29, 1-14 (Rachel et Jacob), Exode 2, 15-25 (Moïse et Cippora) ou dans le Cantique des cantiques (4, 12.15)
  • Rencontre avec le Christ-Epoux, qui vient étancher la soif profonde d’amour de l’humanité, comme aux noces de Cana (Jean 2, 1-11) ou dans le dialogue avec la Samaritaine (Jean 4, 6-14) : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » 

Au puits de la basilique, Jésus Christ nous attend pour combler le désir profond de notre cœur : « celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. » (Jean 4) 

Au bord du puits comme au pied de la Croix, la Vierge Marie puise dans les profondeurs du cœur de son Fils toutes les grâces de miséricorde et de vie pour renouveler nos vies et les rendre fécondes (cf. Jean 19, 25-34). 

Au bord du puits comme à Cana, Marie nous dit, comme aux serviteurs qui allaient puiser l’eau qui serait changée en vin : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jean 2, 5). Pour notre plus grande joie. 

Le regard de l’historien

Par Jean-Baptiste RENAULT, originaire de L’Epine, chercheur en Histoire à l’Université de Lorraine, auteur de « Marie au Buisson ardent Notre-Dame de L’Epine, pèlerinage champenois » (Editions Universitaires de Lorraine, 2020) disponible à la boutique de la basilique. 

On raconte au moins depuis le XVIIe siècle, qu’un fait miraculeux serait à l’origine de L’Épine. Des bergers, la veille de l’Annonciation, auraient découvert une statue de la Vierge à l’Enfant dans un buisson d’épines, dégageant une forte lumière. L’évêque serait venu et aurait placé l’image dans une chapelle préexistante.

Récit populaire, la légende a aussi un sens symbolique cohérent avec la Révélation chrétienne. D’abord, le buisson renvoie au buisson ardent que vit Moïse et qui, au Moyen Âge, était considéré comme une image de la maternité virginale de Marie. Ensuite, la Vierge Marie est associée à des motifs de l’Ancien Testament, comme le lys entre les épines. Dans la culture populaire, l’aubépine était particulièrement associée à la Vierge Marie ; elle était portée le mois de mai par les petites filles quêtant pour orner l’autel de la Vierge, coutume courante en Champagne. Aussi, en recueillant ce que l’on peut savoir des récits légendaires, il ne faut pas oublier l’arrière-plan symbolique. Les légendes d’invention (c’est-à-dire de découverte) d’une image mariale sont souvent nées pour légitimer et justifier le choix d’un lieu que l’on considérait élu par Dieu, parfois dès la fin du Moyen Âge, mais bien souvent dans le contexte de la Réforme catholique du XVIIe siècle.

Toutefois, pour L’Épine, on ne sait pas vraiment ce qui motivait réellement les pèlerins dans les débuts du pèlerinage :

  • la statue, 
  • les reliques (en particulier une relique de la Vraie Croix mais aussi une relique du saint Lait de la Vierge), 
  • l’eau du puits (mais ce n’est guère qu’à partir du XVIIIe siècle qu’elle est mentionnée comme but des pèlerins), 
  • sans doute un faisceau de différentes sacralités s’additionnant.

La « pulsion pèlerine », se mettre en route, a en elle-même sa propre justification et selon les époques et l’évolution de la piété et de ses manifestations, les motivations concrètes des pèlerins ont pu changer. 

Naissance et épanouissement d’un sanctuaire

Le village de L’Épine s’est constitué progressivement, à la fin du Moyen Âge autour de l’édifice, qui n’était à l’origine qu’une humble chapelle. C’est le hameau de Melette, sur la commune de L’Épine, qui était le siège de l’ancienne paroisse. Des fouilles y ont révélé la présence d’une église dès l’époque mérovingienne (VIIe siècle). Cette église dédiée à Saint-Léger dépendait de l’abbaye Saint-Jean de Laon. 

Le site de l’église de L’Épine était quant à lui probablement à la limite entre les territoires de Melette et de Courtisols. Les lieux-dits « L’épine » ne sont pas rares en Champagne-Ardenne. Il s’agit le plus souvent de lieux isolés, loin des villages. Les haies d’épines étaient utilisées au haut Moyen Âge pour marquer les limites entre des propriétés. C’est une possible origine du nom de lieu L’Épine : un ancien lieu-dit marquant la limite entre deux paroisses. Cependant à L’Épine, le nom est également chargé d’une valeur religieuse forte, puisque le motif du buisson d’épines est au Moyen Âge associé à la Vierge Marie. L’église Sainte-Marie de L’Épine, mentionnée pour la première fois vers 1200, n’était probablement qu’une modeste chapelle rurale desservant quelques habitations établies auprès d’elle ou plus bas en direction de la Vesle, notamment à l’ancien lieu-dit Chevy ou Chivette (qui a donné l’actuelle rue de Chivette). 

Mais brusquement au début du XVe siècle, les habitants se lancent dans un ambitieux chantier de reconstruction. C’est un procès qui en 1404-1406 nous fait connaître la cause de cette soudaine effervescence : on évoque l’existence d’un pèlerinage à la Vierge Marie que l’on décrit comme immémorial. Parallèlement on voit que les legs à « Sainte-Marie de L’Épine » ou « Sainte-Marie de Courtisols » sont plus nombreux dans les testaments. Les temps étaient alors particulièrement difficiles, Châlons et ses environs ayant beaucoup souffert de la Guerre de Cent Ans et des fléaux tels que la peste. Les pèlerins étaient avant tout des gens des environs et des Châlonnais, mais dès le début du XVe siècle on rencontre aussi des Lorrains. L’Épine, pour les Châlonnais, est un peu devenue une église urbaine hors-les-murs vers laquelle se sont dirigés les plus vifs rayons de la piété urbaine. Les habitants de L’Épine et de Courtisols administraient ensemble les biens paroissiaux dans l’institution que l’on appelait la fabrique. Ce sont eux qui ont projeté l’édifice actuel pour répondre à l’affluence des pèlerins et grâce aux nombreuses offrandes. 

Le chantier décrit comme entamé en 1406 s’est terminé en 1527, ou peu après, pour le gros-œuvre. Il a connu sans doute bien des arrêts et des modifications. On connaît le nom du maçon châlonnais Etienne Pontoise, travaillant sur l’église en 1431, qui abandonna le chantier et dont les biens furent saisis par la fabrique. En 1455, Blavet Nérault aurait travaillé sur le chantier et serait responsable de l’introduction du style flamboyant : il a probablement jeté les bases de la façade sans qu’il soit aisé de retracer la chronologie de la construction de ce morceau de bravoure. L’achèvement de l’édifice par le chœur et les chapelles rayonnantes est mieux connu. Après une première campagne où intervint Regny Goureau, à partir de 1509, l’achèvement fut confié en 1515 à Guichart Antoine et Antoine de Bertaucourt. Au XVIe siècle, le sanctuaire est encore prospère à en croire les aménagements tels que le buffet d’orgue, les autels des chapelles ou la clôture de chœur. 

Après des démarches en cours de Rome, les habitants obtinrent le transfert du siège de la paroisse de Melette à L’Épine, par bulle du pape Calixte III en 1458. Ce changement institutionnel sanctionnait sans doute l’évolution marquée par l’abandon progressif du village de Melette et le groupement d’habitants autour de la nouvelle église. Les sources concordent pour attribuer aux laïques l’essentiel des initiatives en ce qui concerne le chantier et sans doute l’encadrement du pèlerinage. Néanmoins, les prêtres desservant l’église avaient évidemment un rôle dont on connaît moins les spécificités. Certains n’avaient obtenu L’Épine que comme une source de revenus, les messes étant dites par des vicaires ou chapelains. On connaît d’ailleurs un important procès entre les habitants de Courtisols et L’Épine et le curé Jacques de la Vieilville qui voulait capter l’offrande de 1200 écus d’or faite par le roi Louis XI, offrande que les habitants avaient bien vite injecté dans les dépenses du chantier. 

Flux et reflux : le mouvement des pèlerinages 

Dès le XVe siècle, on trouve des mentions de la dévotion de pèlerins de différentes couches sociales. Les plus nombreux sont anonymes et laissent des offrandes dans des troncs (mentionnés en 1406). Les bourgeois de Châlons participent au chantier, par des legs testamentaires ou en offrant des verrières. En 1439, les Merciers de Châlons (à l’époque ils s’agissaient de vendeurs de maints menus objets comme nos quincaillers actuels) sont venus en pèlerinage et ont fait une offrande. Un riche bourgeois de Verdun, Gilles Paixel, est venu à L’Épine en pèlerinage en 1408 après avoir fait le pèlerinage de Terre Sainte et du Sinaï. Il offrit une relique du saint Lait, probablement prélevée à Bethléem lors de son pèlerinage. Parmi, les princes, il faut d’abord mentionner le duc de Bar, Robert, qui en 1406 paie un vicaire pour faire le pèlerinage de L’Épine. Il était alors courant de payer un « vicaire » pour accomplir un pèlerinage. Le pèlerinage de Charles VII, venu avec sa cour lors d’un séjour à Châlons en août 1445, dans une période d’apaisement, pouvait résonner comme une forme de reconnaissance officielle du pèlerinage populaire. En 1455, le duc de Bourgogne Philippe le Bon, fit porter des offrandes devant les reliques de L’Épine. Le roi Louis XI quant à lui fit porter la somme de 1200 écus d’or à Notre-Dame de L’Épine, le 15 août 1471. 

Les lettres patentes de Charles VII évoquent les miracles faits en l’honneur de la Vierge Marie. L’un des mobiles des pèlerinages était le recours en cas de mort d’un enfant sans baptême (répit). On implorait la Vierge de donner un sursaut de vie au nourrisson mort lui permettant de recevoir le baptême et d’éviter le séjour des Limbes. Cela est mentionné en 1441, quand l’officialité (tribunal de l’évêque) s’inquiète de ce genre de pratiques. Cette demande particulière est sans doute restée une des principales motivations du pèlerinage de L’Épine. 

Au XVIIe siècle, dans le mouvement général de la Réforme catholique, les évêques eurent à cœur de rendre le pèlerinage plus conforme aux besoins spirituels et auraient voulu qu’il soit mieux encadré. C’est à cette fin que l’on installa à L’Épine un couvent de frères Minimes. Chargés de l’animation spirituelle du lieu, les Minimes durent cependant partager l’église avec le curé et les habitants qui souhaitaient maintenir leurs usages. Alors que bien des sanctuaires connurent un nouvel élan lors de la Réforme catholique (« pèlerinages-missions »), L’Épine semble être resté un pèlerinage traditionnel et surtout un lieu de recours spécialisé dans les demandes en lien avec la maternité et la petite enfance. Si le pèlerinage était très vivace au XVIIe siècle, il semble avoir progressivement perdu en vigueur au cours du XVIIIe siècle. L’Église elle-même n’encourageait plus cette pratique, trop peu encadrée. 

Après la Révolution et l’Empire on voit le pèlerinage reprendre de la vigueur. La pratique de la bénédiction des enfants témoigne alors d’une constance augmentation de la ferveur et de l’affluence au cours du XIXe siècle. Mais c’est seulement après la guerre de 1870-1871 que les pèlerinages devinrent plus organisés et plus encadrés en particulier avec le lancement du pèlerinage diocésain en 1873 puis un peu plus tard de ce qu’on a appelé le « Retour de Lourdes ». En 1890 on voit culminer les pèlerinages avec le couronnement de la statue qui assembla 10.000 personnes. Dans un contexte de luttes entre les Catholiques et les gouvernements anticléricaux ces pèlerinages avaient pris une tournure presque militante, voire politique. Il s’en suivit une légère décrue jusqu’à 1914. En 1914, couronnant de nouveaux efforts de l’évêque pour honorer le sanctuaire, le pape accorda à l’église la dignité de basilique mineure. 

Entre les deux guerres, le pèlerinage connut une vigueur comparable à celle du XIXe siècle. Si le concile Vatican II a bouleversé l’organisation des pèlerinages, ceux-ci sont toujours très actifs. 

L’ÉPINE, une étape sur les routes de l’Est 

La situation de L’Épine sur une des routes menant de Paris aux villes de l’Est en a fait une étape pour les voyageurs mais aussi pour les pèlerins. Des Parisiens se rendant à Saint-Nicolas de Port ou des Lorrains se rendant à Reims et à Liesse au XVIe ou au XVIIe siècle, faisaient halte à L’Épine. 

Les renseignements sont plus ténus pour les pèlerins se rendant à Saint-Jacques de Compostelle, mais on peut supposer que des Lorrains ou des Allemands se rendant en Galice sont passés par L’Épine. 

Les rois furent nombreux à venir en pèlerinage ou en simple visite à L’Épine : Charles VII, Louis XI, François II et Marie Stuart, Catherine de Médicis, sans doute Henri III, Louis XIV, Napoléon, Charles X, le futur Ferdinand II des Deux-Siciles, Louis-Philippe. 

Au XIXe siècle, à la suite de Victor Hugo venu en 1838, L’Épine est devenu un lieu de passage des touristes romantiques comme Alexandre Dumas, en route vers Varennes ou l’orientaliste Girault de Prangey qui photographie l’édifice. En 1946, le nonce Angelo Roncalli, futur Jean XXIII rend visite au sanctuaire. 

L’ÉPINE dans les guerres 

Née en pleine Guerre de Cent Ans, L’Épine a toujours traversé les périodes de conflits en sauvegardant son plus beau trésor : encore un fait qui parait merveilleux dans l’histoire de L’Épine ! 

En 1431, une importante bataille eut lieu entre les troupes françaises et les Anglo-bourguignons entre L’Épine et Châlons au lieu-dit La Croisette. La situation légèrement surélevée du village et située sur une route importante lui dut d’être souvent un lieu de campement des troupes en déplacement. 

Lors des guerres de religion, les troupes protestantes de Coligny y campèrent avant de fuir vers l’Est en décembre 1567, poursuivie par le duc d’Anjou (futur Henri III). On a prétendu que c’est de ce passage que date la destruction des anciens vitraux de l’église. C’est possible mais nous n’en avons pas de preuves nettes. De même une légende raconte que le seigneur de L’Épine aurait alors défendu l’église assiégée par les protestants.  

La station de troupes est attestée notamment en 1590 avec le duc de Nevers. En 1610, les troupes royales partant en guerre pour les duchés de Clèves et Juliers étaient stationnées à L’Épine lorsqu’elles apprirent la mort de Henri IV, assassiné à Paris le 14 mai. Elles voulurent en marquer le souvenir en rappelant l’évènement par une inscription sur la façade de la basilique (à droite du portail central). 

Au XVIIe siècle, les Minimes obtinrent des lettres de sauvegarde pour éviter d’être soumis aux dégâts des troupes stationnant. À cette époque les habitants avaient tendance à entreposer dans l’église leurs objets les plus précieux, voire des provisions ou même du bétail. 

En 1792, L’Épine servit de lieu de stationnement pour les troupes du général Sparre, peu avant la bataille de Valmy. Mais la situation de L’Épine sur une route de l’Est lui fit grand tort. C’est afin d’établir un télégraphe optique selon le système de Claude Chappe que l’on abattit en 1798 la flèche nord de l’église. Ce télégraphe reliait Paris à Strasbourg et avait un rôle stratégique devant avertir la capitale en cas d’invasion. Il fut abandonné en 1851 au profit du télégraphe électrique et la flèche put être reconstruite grâce à la générosité de Napoléon III en 1867.  

En 1870, quelques Allemands vinrent prier à l’église et respectèrent le lieu d’après le témoignage du curé. 

En 1914, les Allemands occupèrent pendant quelques jours le village, la plupart des habitants ayant fui. Probablement par représailles, tout un côté de la rue principale (actuelle avenue du Luxembourg) brûla. Lorsque les Français reprirent l’offensive, il fut question de bombarder l’église, lieu d’observatoire pour les Allemands. Le lieutenant Louis Crapez d’Hangouwart prit sur lui de différer l’application des ordres reçus. C’est ainsi que l’église fut sauvée. 

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le diocèse créa une association Notre-Dame de L’Épine pour les prisonniers de guerre. Au lendemain de la guerre, des prisonniers apportèrent une croix faite de barbelés en reconnaissance.